Justice des mineurs

[Communiqué du Collectif "Justice des enfants"]

La jeunesse mérite mieux que des caricatures

Des révoltes urbaines de l’été 2023 à l’actualité dramatique de ces derniers jours, le gouvernement pointe du doigt la violence de la jeunesse, omettant pourtant d’autres drames – ceux des décès récents de Lily et Myriam, confiées à l’Aide sociale à l’enfance – pour lesquels la responsabilité doit être assumée collectivement.

Soutenir que les jeunes seraient de plus en plus violents est un postulat qu’aucun chiffre ne vient étayer. Au contraire, d’après les statistiques du ministère de la justice, une baisse de 24 % du nombre de mineurs mis en cause a été observée entre 2019 et 2022, et, si la proportion de poursuites est restée stable sur cette période, le nombre de mineurs jugés devant les tribunaux a baissé de plus de 30 %.

Il est également erroné de soutenir que de nombreux mineurs demeurent impunis : le taux de réponse pénale à leur égard est de plus de 90% ; elle intervient donc de manière plus systématique mais aussi plus vite que pour les majeurs. De plus, contrairement à l’idée véhiculée d’une justice laxiste vis à vis des mineurs, le caractère répressif de cette justice ne fait que gagner du terrain : l’emprisonnement est la peine la plus souvent prononcée et sa durée ne fait que s’accroître (elle est en moyenne de 9 mois en 2020 contre 5,5 mois en 2010). Ces chiffres ont pour conséquence une hausse de 19 % du nombre d’enfants détenus entre le 1er janvier 2023 (614) et le 1er janvier 2024 (732) et illustrent les limites de ce modèle répressif.

Plutôt qu‘interroger les causes profondes des phénomènes dénoncés – une consultation en 8 semaines ne saurait le permettre, le gouvernement tente de montrer qu’il est dans l’action en annonçant d’emblée certaines orientations à travers des mesures chocs.

Derrière l’ambition affichée de « réinstaurer l’autorité » se dévoile une vision de la société basée sur la sanction. Ayant choisi de renforcer la notion d’autorité comme unique moyen de faire face aux débordements de la société, le gouvernement veut responsabiliser les parents, par des sanctions pénales et financières, sans s’interroger sur la question de l’intentionnalité et en oubliant les responsabilités qui sont les siennes.

Le projet de loi et le plan présentés par le Premier ministre ont pour objectif affiché de « restaurer la parentalité » en aggravant le délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales et en les sanctionnant pour leur absence à une audience concernant leur enfant – ce qui existe déjà par le biais d’une amende civile ! Or, la culpabilisation et la sanction des parents qualifiés de « démissionnaires » ne pourra qu’avoir un effet contre-productif, tant il est dissonant avec l’objectif de les réhabiliter en tant que parents et de les aider à redevenir une figure d’autorité. Ce sont pourtant les parents qui sont censés, en premier lieu, incarner l’autorité auprès de leurs enfants. Or, en dehors des cas de maltraitance que la justice peine déjà à prendre en compte, la plupart des parents concernés sont en grande difficulté éducative et parfois financière, et ne le seront que davantage avec des sanctions principalement liées au comportement de leurs enfants.

De même, le gouvernement souhaite sanctionner davantage les mineurs. La proposition de mention sur Parcours Sup de comportements perturbateurs est gravement stigmatisante. Au-delà, atténuer l’excuse de minorité ou appliquer la procédure de comparution immédiate aux mineurs revient à nier la spécificité propre à la justice pénale des mineurs, alors que la distinction entre mineurs et majeurs est justifiée par la capacité de discernement et la maturité moindre des enfants. Il découle de cette distinction un principe à valeur constitutionnelle qui protège « l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de leur âge » et garantit l’existence d’une justice spécialisée, avec des procédures et des mesures appropriées à leur âge. En outre, revenir sur l’excuse de minorité amènerait la France à rompre avec ses engagements internationaux et en particulier la convention internationale des droits de l’enfant.

Nous, professionnel·les en contact quotidien avec notre jeunesse et organisations de défense des droits humains, témoignons de la nécessité de préserver une approche adaptée à l’âge de chaque enfant, en termes de protection, d’éducation et d’insertion, de soins et de justice.

Nous rappelons que les enfants, même « perturbateurs » ou commettant des actes de délinquance, sont les adultes de demain et que nos métiers doivent permettre de les accompagner dans leur construction.

Nous nous opposons fermement à des mesures répressives qui viennent opposer les populations ainsi que stigmatiser les mineurs et leurs parents. Celles-ci n’ont aucune efficacité vis-à-vis des objectifs poursuivis, voire ont un effet délétère.

Nous n’avons de cesse de dénoncer l’absence d’une réelle politique de prévention primaire : la prévention spécialisée a été abandonnée par les politiques depuis 15 ans, la protection de l’enfance est à l’agonie.

Au lieu d’une énième réforme législative et d’un discours stigmatisant, nous demandons un plan d’envergure renforçant les moyens matériels et humains portés à la hauteur des besoins de l’ensemble des services publics de la jeunesse, de la protection de l’enfance et de la justice pénale des mineurs.

Organisations signataires :
- Barreau de Paris
- Confédération générale du travail (CGT)
- Conseil national des barreaux (CNB)
- Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats (FNUJA)
- Fédération Syndicale Unitaire (FSU)
- Ligue des Droits de l’Homme (LDH)
- Observatoire international des prisons (OIP)
- Syndicat de la magistrature
- Syndicat des avocats de France (SAF)
- Syndicat National de l’Ensemble des Personnels de l’Administration Pénitentiaire (SNEPAP – FSU)
- Syndicat National des Personnels de l'Education et du Social à la Protection Judiciaire de la Jeunesse (SNPES – PJJ/FSU)
- Syndicat national unitaire de la territoriale (FSU territoriale)
- Syndicat national unitaire de l’enseignement professionnel public (SNUEP-FSU)
- Syndicat National unitaire des Assistants Sociaux de la Fonction Publique (SNUASFP FSU)
- Union Fédérale de l'Action Sociale CGT (UFAS CGT)
- Union syndicale Solidaires

  La jeunesse mérite mieux que des caricatures [CP collectif] (104.34 KB)

 

Nous avons été entendus le 14 février 2024 dans le cadre de la mission d'information sur les mineurs non accompagnés de la délégation aux droits des enfants de l'Assemblée nationale.

Les contentieux civil et pénal relatifs aux mineurs non accompagnés (MNA), que ces derniers soient demandeurs d’une mesure de protection en assistance éducative,
d’une mesure de tutelle devant le juge aux affaires familiales, ou encore qu’ils soient auteurs d’infractions pénales, confrontent les juges, particulièrement les juges des enfants, à des enjeux politiques et administratifs sensibles. La prise en charge des MNA touche à la question de l’accueil des personnes migrantes et si les
politiques publiques relatives à la prise en charge de l’immigration, à l’échelle nationale ou européenne, ne relèvent nullement du juge, elles ont des répercussions
importantes sur son office. La charge financière reposant sur les départements est importante et conduit certains d’entre eux à adopter des stratégies d’évitement aux
incidences directes sur l’exécution des décisions des juges des enfants.

Vous trouverez nos observations complètes ci-dessous.

Nos observations - Mission d'information mineurs non accompagnés (644.36 KB)

Visuel CP protection des enfants

En ce début d’année 2024, deux évènements tragiques questionnent, encore et encore, l’état de la protection de l’enfance en France. La mort de la jeune Lily, 15 ans, retrouvée pendue dans sa chambre d’hôtel le 25 janvier 2024 dans le Puy de Dôme ; celle de la jeune Myriam, 14 ans, retrouvée morte dans un appartement en Seine-et-Marne le 25 février dernier, lors d’une fugue de son foyer alors qu’elle était placée à l’Aide Sociale à l’Enfance. Ces décès font écho à celui du jeune mineur isolé de 17 ans, qui avait été poignardé à mort par un autre jeune, dans un hôtel des Hauts-de-Seine où il était placé, en décembre 2019.

Comment a-t-on pu en arriver là ? Depuis plus de 20 ans, l’enfance en danger est de moins en moins bien protégée.

La loi « réformant la protection de l’enfance » du 5 mars 2007 a donné compétence exclusive aux conseils généraux, désormais départementaux, sans transfert suffisant des dotations étatiques. Affichée comme voulant « recentrer » le civil sur des compétences territoriales, elle a eu pour conséquence de considérablement réduire les moyens éducatifs des services de l’Etat (Protection Judiciaire de la Jeunesse – PJJ), et de mettre fin de fait à la double compétence civile et pénale de la PJJ instituée depuis 1958.

La loi du 14 mars 2016 annoncée « recentrée » sur « la protection de l’enfant », n’a pas réellement été mise en œuvre. Six ans plus tard a été promulguée la loi Taquet du 7 février 2022, cette fois-ci « relative à la protection des enfants », considérant qu’il y avait urgence… Mais, il a fallu encore deux ans pour que la plupart des décrets d’application, et notamment l’un des plus attendus relatif à l’interdiction d’hébergement hôtelier des enfants, soient enfin publiés, démontrant une fois encore que les questions financières priment sur l’urgence de l’accompagnement.

Cette affluence de normes n’a toutefois pas permis de pallier la lente mais inéluctable dégradation de la protection de l’enfance.

Dans les écoles, le manque de moyens est criant, les assistantes sociales, les infirmières scolaires sont en sous-nombre, alors que ces professions sont les premières à faire de la prévention et à identifier les enfants en situation de danger.

Les départements n’évaluent les situations qu’au bout de plusieurs mois à compter de la première information préoccupante, si bien que les juges des enfants sont souvent saisis de situations déjà très dégradées.

Les mesures prononcées par les juges des enfants s’accumulent mais ne sont pas, dans un grand nombre de départements, mises en œuvre avant l’écoulement d’une durée inadmissible, parfois jusqu’à plus d’un an, avec de lourdes conséquences concrètes :

- les mesures d’assistance éducative en milieu ouvert, censées aider les familles en maintenant les enfants chez eux, restent en attente de longs mois faute de personnel suffisant, laissant des enfants parfois sans scolarisation, sans soins, et les parents sans soutien éducatif ;

- les situations s’aggravent ce qui conduit parfois à une décision de placement, qui aurait pu être évitée si la mesure à domicile avait été exécutée dès son prononcé ;

- les placements ordonnés car les enfants sont dans une situation de danger au sein de leur domicile ne sont pas exécutés avant de longs mois, et parfois ensuite réalisés en urgence dans des conditions peu respectueuses de l’intérêt de l’enfant. Ainsi, les enfants placés se retrouvent dans des structures inadaptées, quelques fois même défaillantes, avec des personnels précarisés et mal voire non formés aux métiers éducatifs. Et encore aujourd’hui, sur dérogation et si urgence, le placement d’un jeune de 16 à 21 ans reste possible en hôtel, preuve de l’insuffisance de structures éducatives.

La crise du travail social - qui peine à recruter -, le manque de personnel éducatif, le turn-over de salariés épuisés par le constat de leur incapacité à agir et le défaut de reconnaissance de la complexité des missions aggravent ces situations déjà désespérées. A cela s’ajoute la nécessité de revoir les modalités de financement et de pilotage de la protection de l’enfance.

La situation est devenue intolérable et la protection de l’enfance explose.

Tous les dispositifs législatifs mis en place seront vains si les moyens humains, financiers et matériels ne sont pas augmentés de manière significative. Nous ne pouvons pas rester passifs et regarder la protection de l’enfance devenir une coquille vide : vide de sens, vide de moyens humains et matériels suffisants, vide de ce qui faisait hier son ciment et sa force : l’intérêt de ces enfants déjà fracassés par la vie, la nécessité de leur garantir un accompagnement de qualité pour les aider à grandir au mieux et à trouver leur place dans la société.

Aujourd’hui, les organisations de notre collectif Justice des Enfants, mais également tous les adultes que nous sommes, lançons un cri d’alarme.

Cessons cette politique d’apparence de résultats et retrouvons la qualité du travail éducatif, avec des personnels formés et en nombre suffisant afin d’assurer une protection des enfants et des adolescents égale sur tous les territoires.

Agissons sans plus attendre, sans plus tergiverser. Trouvons le cadre commun, partageons les compétences pour les mettre concrètement au service des enfants et des adolescents.

Rappelons que tous ces enfants, au civil, au pénal, isolés ou non, doivent être NOTRE considération primordiale.

Nous appelons à la mise en œuvre d’un plan d’urgence humain et budgétaire, avec l’action de tous les professionnels de l’enfance en danger, les travailleurs sociaux, le secteur médico-social, les éducatrices et éducateurs (prévention, ASE, PJJ), les professionnels de la justice (avocats et magistrats pour enfants), mais aussi les associations en protection de l’enfance et les institutions.

Il est urgent de redonner à la protection de l’enfance les moyens de lui permettre d’exécuter sa mission, pleine de noblesse et qui nous oblige toutes et tous : protéger les enfants.

Communiqué de presse du Collectif justice des enfants - 8 mars 2024

Communiqué de presse - Un plan d'urgence pour la protection des enfants (201.09 KB)